Caroline Grillot Biographe


Caroline Grillot

1975-2025 – Comment réveiller des fantômes de 50 ans ?

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L’année 1975 fut une année charnière, selon la formule consacrée, pour une large partie de la communauté asiatique de France, en particulier les Vietnamiens, Cambodgiens, Laotiens et Hmongs : fin de la guerre du Vietnam et réunification du pays, chute de Phnom Penh et début du régime génocidaire Khmer rouge, et fin de la guerre civile au Laos avec la prise du pouvoir du Pathet Lao.

La péninsule indochinoise devient alors, sous des formes différentes, indépendante, socialiste et s’isole, sous l’autorité de ses régimes politiques. L’année marque également le début de la fuite des populations qui le peuvent. Les réfugiés – les « boat people » – débarquent par vagues dans tous les départements français, de Paris à la Guyane, qui les accueillent jusqu’au début des années 1980.

Depuis ce mois d’avril 2025, nombre d’évènements commémorant le cinquantenaire de cette année 1975 sont organisés au sein des communautés, dans les universités et centres culturels. De quoi réveiller les mémoires des réfugiés d’alors et susciter les interrogations de leurs descendants, seconde et troisième générations. La question de la transmission de cette histoire douloureuse, souvent écartée dans les familles, ressurgit comme un thème récurrent dans les interventions des chercheurs, les productions artistiques et les débats au sein des communautés. D’où viennent-ils ? Quelles sortes de frontières ont-ils donc traversées ? Qu’ont-ils préservé ? Qu’ont-ils raconté ou tu ?

Pourtant, est-ce si évident de réveiller les fantômes, est-ce si évident d’évoquer les parcours migratoires, l’adaptation, l’intégration, le deuil, la crainte du retour ou l’envie de repartir ? Les descendants, naviguant entre deux ou trois cultures, font bien souvent face à l’évitement. L’âge avancé des parents, le traumatisme enfoui des enfants d’alors, l’errance identitaire complexe des communautés reformées, mènent parfois à oser davantage solliciter le récit familial. La frilosité demeure, l’émotion freine, mais le désir d’ouvrir les vannes se montre parfois plus fort que la tendance à la retenue éternelle. Des associations locales s’engagent à recueillir cette mémoire collective, mais il est plus délicat d’entreprendre un véritable voyage intérieur, sur la durée, au cœur des mémoires individuelles. C’est là que, parfois, si la chance me sourit, je m’emploie à accompagner la mise en mots, traduire les indicibles et redessiner les cartes que les héritiers de l’Histoire déchiffreront (avec beaucoup de notes de bas de page).