Florence Baie
Accompagner (parfois) jusqu’au bout
Une forte et belle rencontre en ce jour de juin 2017. Appuyé sur sa canne, le vieil homme m’attend sur son perron, impatient de découvrir qui je suis, et surtout s’il va se sentir suffisamment en affinités avec moi pour me raconter sa vie. « Je souhaitais que ça soit une femme, m’a-t-il répété plusieurs fois, parce que ma nature sensible me fait mieux m’entendre avec elles qu’avec les hommes ».
Charmant et très déterminé, il est impatient de se plonger dans l’évocation de son passé, d’autant qu’il vient de perdre sa femme et que la solitude lui est pesante. De ce projet, je le sens, il en attend de reprendre goût à la vie. Quelques volumes plus tard, je crois pouvoir dire qu’effectivement ce fut le cas.
Des émotions à peine contenues
Tant d’années après, à la simple évocation de la mort de son père j’entends encore des larmes dans sa voix, mais surtout aussi au souvenir de son épouse. Raconter leur rencontre, en revanche, le fait s’illuminer tout à coup, tant toute sa vie ensuite il a été porté par l’amour qu’ils ont partagé. À fleur de mémoire, chaque émotion vient s’ajouter à sa propre palette de mots de manière à ce que le portrait soit fidèle.
Une documentation… importante !
Sur l’histoire de leurs deux familles, la maison regorge de documents en tous genres. Raymond a beau être mal voyant, il connaît tout par cœur. Ensemble, nous opérons un tri.
Jusqu’au bout…
Cependant la matière était si importante qu’il fallut plusieurs tomes pour venir à bout d’une mémoire phénoménale (ah, ce boudin et ces côtelettes mangées un soir de rupture de barrage en 1959 !) dont celui, fourmillant de détails d’époque, d’une correspondance avec celle qui n’était pas encore son épouse.
En début d’année dernière, les forces de Raymond ont commencé à décliner. Puis le Covid est passé par là et un jour je l’ai accompagné à sa dernière demeure. L’impression, pratiquement, de perdre un ami.