Jacqueline Meyer
Destination sensible et singulière d’une biographie
Chaque biographie est une aventure sensible : elle se termine généralement dans la satisfaction partagée d’un projet abouti sous forme d’un livre qui, selon la promesse de départ, aura toute sa place dans la bibliothèque familiale… ou ailleurs.
La dernière étape
C’est une belle journée d’été en Provence à peine rafraîchie par les rafales du mistral. Un chemin de terre me conduit au mas de Georges et Josette. Au fil de nos entretiens, débutés il y a un an, ils m’ont raconté leur enfance, dans une famille de maraîchers pour Georges, de bergers pratiquant la transhumance pour Josette ; leur activité de maraîchage, ses aléas ; mais aussi leur bonheur familial, leurs engagements municipaux et associatifs et leur profond attachement à leurs terres. Ils m’attendent avec impatience : je vais leur présenter la maquette du leur livre écrit à deux voix. Le projet est devenu aujourd’hui une réalité tangible sous forme de feuilles avec traits de coupe, prêtes pour l’impression. Dans un mois, une fête réunira famille et amis au cours de laquelle chacun recevra un exemplaire du livre imprimé.
Une tendresse infinie
Georges et Josette ne se sont jamais quittés pendant les soixante-sept ans de leur vie commune. J’ai souvent été émue par la tendresse qui les liait, leurs regards ou leurs mains qui se cherchaient quand l’un ou l’autre évoquait un souvenir douloureux de son enfance, ou une épreuve surmontée ensemble. Les yeux bleus de Josette, pétillants de malice, s’assombrissaient parfois lorsque Georges, cloué dans un fauteuil roulant, manifestait des signes de fatigue. « J’ai tellement peur qu’il s’en aille. Que deviendrai-je sans lui ? » me confiait-elle.
Le drame inattendu
Deux semaines plus tard, la voix brisée de Georges au téléphone : « Josette est morte dans la nuit d’un arrêt cardiaque. Venez à la maison, si vous souhaitez lui rendre un dernier hommage. » Le cœur serré, j’emprunte à nouveau le petit chemin de terre. Josette repose sur son lit de mort, un chapelet dans ses mains croisées et déployées sur sa poitrine… les feuilles de la maquette du livre. Son fils me souffle : « Elle était si fière d’avoir fait ce livre avec vous qu’on a décidé qu’elle l’emporterait avec elle dans son cercueil, même si ce n’est qu’une maquette. »
Certaines biographies suivent des destinations singulières, parfois très loin des bibliothèques familiales.