Françoise Arvault
Écrire un « livre-repentir » sur un défunt
À l’issue d’une conférence sur le récit de soi, une vielle dame, Madame Chevalier, vient timidement me demander s’il est possible de rédiger un livre sur une personne décédée. J’imagine qu’elle souhaite écrire sur son mari mais non, elle veut parler de son père car, me dit-elle, elle a pris conscience qu’elle l’a « raté » et voudrait réparer ses erreurs d’appréciation.
De un à trois narrateurs
Le premier entretien se déroule en présence de l’un des fils de Madame Chevalier. Très vite, les échanges révèlent que la mère et son fils n’ont pas la même perception de l’homme, que le père et le grand-père n’ont pas du tout laissé les mêmes souvenirs.
Me vient alors l’idée d’un récit à deux voix dans lequel chacun pourrait dresser un portrait du défunt. Mais le second fils ne tarde pas à manifester son souhait de participer à ce projet autour d’un grand-père qu’il a beaucoup aimé. Pour que chacun se sente libre d’évoquer ses souvenirs et ses émotions, je recueille les trois témoignages séparément.
Madame Chevalier raconte son adolescence perturbée par les longues absences de son père et la nécessité de garder secrètes ses activités pour la Résistance. Ses fils évoquent leur admiration pour ce grand-père érudit, les jeudis au musée du Louvre, les cours de natation pendant les vacances, etc. Au fil de leurs récits, tous les trois expriment leur admiration pour les talents artistiques de l’instituteur qui voulait être architecte avant que la guerre ne mette un terme à ses rêves de jeunesse.
De l’hommage à la sérénité
Une fois les trois textes écrits, aucun narrateur ne souhaite lire le témoignage des deux autres avant la parution du livre. Quand Madame Chevalier a enfin l’ouvrage entre les mains, elle découvre avec une grande émotion les portraits de son père dressés par ses fils. Elle nous dit qu’elle se sent apaisée par ce magnifique hommage qui lui est ainsi rendu, hommage au jeune homme qui a devancé l’appel en 1914, à l’instituteur pacifiste, au Résistant de 1940, au grand-père attentionné, au peintre meurtri par la disparition de la quasi-totalité de ses tableaux dans le bombardement de Boulogne de 1942…
Légende de l’illustration : une des 17 illustrations réalisées par Paul-Maurice Chevalier (1898-1984) pour Les Suppliciés, un témoignage sur la Grande Guerre écrit en 1927 par René Naegelen (1894-1976), qui fut son « Camarade de combat ».
Collection particulière. © Chevalier-Houssa