Cathy Reulier biographe paris


Cathy Reulier

Et que ses souvenirs vivent…

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Madame B. s’est endormie chez elle voilà un an et trois mois, à l’âge de 91 ans, pour ne plus se réveiller. Un âge honorable, diront certains. Sans doute, mais après deux années de travail, j’aurais bien fait encore un « bout de chemin » avec elle, comme on dit. Or c’est le cas, mais autrement.

Dernier projet avant révérence
Toutes les deux semaines, nous partagions à Paris un moment ritualisé : deux à trois heures de travail, suivies d’une « petite collation », pour bavarder. Certes, ses proches disparaissaient les uns après les autres, certes ses jambes lui jouaient des tours. Certes, elle comprenait de plus en plus mal notre monde, ses dérives, sa violence, ce chacun-pour-soi qui la mettait hors d’elle. Parce qu’enfant, en Corrèze comme en région parisienne, elle avait connu cette solidarité qui font les familles, les villages et les quartiers unis.
Dans son quotidien de nonagénaire, tout n’était pas rose, non, mais elle accueillait le grand âge avec philosophie et même curiosité. Madame B. était partante pour vivre jusqu’à 100 ans : écrire ses mémoires la stimulait. Son manuscrit s’achevait. Nous avions parlé de la guerre, de savoirs ancestraux, de rencontres fabuleuses, et d’art, surtout. Elle était potière. Après son séjour estival dans sa maison de campagne – et d’enfance ! –, nous devions nous revoir à Paris en septembre 2023 pour procéder aux dernières corrections. Sa disparition en juillet suspendit le long travail d’écriture commencé par elle seule, poursuivi puis (presque) achevé à quatre mains.

Et le livre naîtra !
À l’annonce de sa disparition, j’ai d’abord été bouleversée à l’idée de ne plus la voir, puis triste qu’elle ne tienne jamais dans ses mains l’objet-livre. Mais peut-être « le destin » avait-il bien fait les choses : Madame B. était restée jusqu’à la fin « dans la vie », portée par une belle échéance, un motif de réjouissance.
Je craignais que cet ouvrage de plus de 400 pages ne naisse jamais, car la décision ne m’appartenait pas. J’emploie ce vocable à dessein car on dit souvent qu’après un décès survient une naissance. Or le livre de cette passionnée d’art va bel et bien voir le jour, en ce mois de novembre. Ses petits-cousins ont repris le flambeau : ils ont fait en sorte que son livre existe, que sa mémoire se transmette et lui survive ! Pour cela, ils ont toute ma gratitude.
D’un défunt, on dit volontiers vouloir faire vivre son souvenir. Avec sa biographie, ce sont ses souvenirs, que l’on fait vivre, éminemment pluriels ! Et un certain regard sur le monde…

Photo de Daniel Lloyd Blunk-Fernández sur Unsplash