Pierre Nozières
Lire son autobiographie dans le noir
Nicole est l’âme de sa famille corse. À l’approche de ses cent ans, elle est encore une jeune femme dans sa tête et l’enjouement de sa voix traduit cela.
Puisque le voyage est coûteux, je ne peux multiplier les déplacements. Pendant mon séjour d’une semaine chez elle en Corse, nous nous sommes donc rencontrés à plusieurs reprises pour le récit de vie que sa famille attend d’elle. Depuis des lustres Nicole a perdu la vue, mais nous nous adaptons à la situation.
Demain matin sera le temps de mon départ. Pour des clients géographiquement proches, les livraisons progressives du texte précèdent de quelques jours la séance d’enregistrement suivante. Cela laisse le temps de s’approprier ces pages et les amender. L’impossibilité de lecture rend ici le contexte différent.
Une méthode de transcription mémorielle innovante
Les soirées à l’hôtel m’ont permis de travailler un premier jet préfigurant le ton du livre. Et puis, avant de reprendre l’oiseau blanc, je tiens à donner un gage de mon écoute attentive de la narratrice. J’ai donc proposé de lui lire à voix haute ces quelques premiers feuillets. Exercice un peu déstabilisateur, comme un regard penché sur mon épaule. De fait, pendant ces longues minutes, la charge émotionnelle est grande… mais la joie instantanée de la destinataire est au rendez-vous.
D’habitude, les étapes successives d’écriture sont postées ou jointes à un courriel. Cette fois, je les enregistrerai sur CD audio, par plages de trois à cinq minutes. Des feuillets imprimés doubleront cet envoi. La personne qui assiste Nicole au quotidien transcrira ses corrections, qui me seront adressées en retour.
Au fil des mois, ce manège a parfaitement fonctionné. Mais l’ouvrage définitif ne se réduit pas au regroupement des envois intermédiaires ; inévitables sont les modifications de contenu et les bouleversements du plan. Qu’à cela ne tienne… Aux exemplaires imprimés de cette biographie familiale sera joint un coffret de quatre CD où ma voix traduit le récit écrit. Parlant de son livre de vie, Nicole ne dira jamais « je l’ai réécouté » mais « je l’ai relu ».