Cécile Dalla Zuanna
Quand le chaos tente de prendre forme…
Histoire d’une biographie inachevée. Il y a quelques années, Clodia, artiste peintre, m’a contactée pour écrire sa biographie. Elle souhaitait transmettre l’histoire de ses aventures à sa fille. Aventures, c’est bien le mot, parce que sa vie n’est vraiment pas un fleuve tranquille !
Lors de notre première rencontre, j’étais intimidée, un peu perdue dans son salon envahi par les pinceaux, les tasses sales et les chats. Puis elle a commencé à se raconter. Sa voix de conteuse des 1001 nuits m’a aussitôt embarquée dans son univers bigarré. Entraînée dans le tourbillon de sa vie, j’écoutais les Beaux-arts, ses combats militants, les rencontres avec des célébrités du XXe siècle, ses passions amoureuses. Elle se revendiquait anarchiste libertaire, et poursuivait avec sa découverte du bouddhisme, sa vie parisienne, la prison, le sexe et la drogue, et toujours ses créations… Ces péripéties rocambolesques me laissaient parfois perplexe. Réalité ou affabulations ? Quelle importance ! Je suis biographe, pas enquêtrice.
Dans ses peintures, Clodia m’a montré comment elle maniait les pigments pour donner forme au chaos de l’existence. Nous sommes convenues d’écrire à quatre mains. Elle avait déjà des phrases en tête, voire des paragraphes entiers. Ces fragments sonnaient comme de la prose rimbaldienne. Elle m’a donné pour mission de dompter cette verve et de donner une forme cohérente et structurée à ses souvenirs.
Très vite, je me suis laissée prendre par le plaisir de l’écriture. J’ai cherché le fil, les repères temporels, les lieux. Je voulais montrer comment le processus de la création artistique s’articulait avec les étapes de sa vie. Le manuscrit a fait des allers et retours, nous avons avancé en le reprenant encore et toujours.
Au fil des mois, le travail s’est essoufflé. Des rendez-vous ont été annulés, reportés. Nous avons parlé de pauses, d’événements qui s’imposent et viennent tout bousculer. Le chaos a fini par reprendre le dessus. Le lien a été coupé. Je suis restée seule avec ma frustration et un sentiment d’inachevé. J’ai rangé le manuscrit au fond de mon tiroir.
Le récit est resté en suspens. Mais en secret, j’ai toujours l’espoir que Clodia pourrait m’appeler pour reprendre…