Pierre Nozières

Quand une famille s’approprie enfin la vie tragique d’une aïeule

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LIBÉRER LE RÉCIT DE DEUX VIES, ÉTOUFFÉ PAR LES ANGLES NOIRS DE L’HISTOIRE

De Nathalie est issue une nombreuse famille… dont aucun des membres nés depuis la guerre n’a eu la joie de l’entendre raconter sa vie. Parce que, sans s’être pourtant impliqués dans la Résistance, un de ses fils et elle, ont été arrêtés par la gestapo et sont morts en déportation. Leur méfait ? Avoir dissimulé des armes : celles de leur stand de tir forain.

J’ai immédiatement adhéré à ce projet mémoriel, lorsqu’un petit-fils et une arrière-petite-fille de Nathalie me l’ont présenté. Mais, d’emblée, nous nous sommes heurtés à un fond de réticence dans le reste de la famille. « Ils n’étaient pas de vrais résistants ! » Et surtout, le drame avait résulté d’une dénonciation. « Alors, à quoi bon remuer ce passé nauséabond… » Pourtant, aucun risque d’attaque en diffamation, puisque, après-guerre, il y avait eu jugement et le coupable avait purgé sa peine.

CONGÉDIER LE TABOU

C’est alors que la quête mémorielle est devenue une bouleversante aventure humaine. Des limbes de l’Internet ont été exhumées de glaçantes traces, noyées dans les registres de l’extermination industrialisée. Et puis, chez tantes, frères, cousines, peu à peu ont ressurgi des documents poignants : message de détresse lancé depuis le train qui menait à l’horreur, témoignages de compagnons d’infortune en ayant réchappé, visites à Ravensbrück et Eger… Au fil de ces apports et recherches, la chape de silence s’est dissipée ; chacun a voulu contribuer. Apogée de cette fulgurante appropriation : pour la présentation de l’ouvrage, plus de cent participants étaient réunis en cousinade. Dans l’émotion ambiante, le vent de l’Histoire s’était adouci ce jour-là. Chacun ressentait que Nathalie et son fils étaient présents lors de cette célébration pour la paix.