Christophe Tézier Récit de vie


Christophe Tézier

Sept vies en une

Séparateur

La vie de ce professeur de fac qui a quitté l’école à quatorze ans, fut singulière à plus d’un titre. L’écriture de sa biographie également…

Avant de se décider à se raconter, il avait hésité. Plusieurs mois. Un long échange téléphonique en juillet, une première rencontre en septembre, une autre en novembre. Craignait-il la distance qui nous séparait, le temps qui galopait, un usage abusif d’Internet dans notre collaboration ? Non, il voulait, me dira-t-il après, avoir confiance et s’assurer que je ne me lasserai pas de son goût pour les digressions « Méfiez-vous, je suis un pédant sachant », m’avait-il d’ailleurs prévenu alors que nous échangions dans son salon encombré de revues spécialisées, livres, CD… Deux ans plus tard, j’inscrivais le mot « Fin » au pied de la six cent quarante-cinquième page… La veille encore, il m’appelait pour modifier une ponctuation, amender une expression, vérifier une possible coquille. Avoir découvert à postériori une faute d’orthographe dans un essai scientifique qu’il avait écrit vingt ans auparavant, avait laissé des traces… Son exigence était tout à la fois redoutable, unique et merveilleuse.

Formidable trajectoire que celle de ce gamin privé d’études par ses parents à l’aune de la Seconde Guerre mondiale. Il n’avait pas vécu une vie, mais sept : successivement ou en même temps docker, FFI, gratte-papier de préfecture, sportif de haut niveau, Pompier de Paris, bachelier grâce aux cours du soir, étudiant en chimie à la Sorbonne, compagnon du PC puis résolument ailleurs, enseignant à Jussieu, longtemps parisien avant de redécouvrir la Brière de ses ancêtres…
Incollable sur les espèces de chênes — il en avait planté cinquante chez lui — inconditionnel de Chateaubriand, Céline et Proust, Monet, Van Gogh, Vermeer, Debussy Verdi, Wagner — des artistes et écrivains « révolutionnaires » disait-il —, il pourfendait avec aisance et arguments Churchill, Freud, Einstein, Marie Curie, la médecine actuelle… La découverte d’un ouvrage de Kant dans les décombres du centre-ville de Rouen bombardé par l’aviation alliée en 1944 avait déclenché cette insatiable quête.

Ensemble, nous avions préparé l’expédition des exemplaires de sa biographie à sa famille et à ses amis. Quelques jours plus tard, au petit matin, un coup de fil de son fils m’apprenait le décès du vieil homme au savoir sans cesse actualisé.