Christophe Tézier
Sur deux continents
Comment, d’une altercation entre deux élèves, resurgissent des souvenirs vieux de soixante-dix ans et suscite le besoin d’entamer un récit de vie ancré dans la France divisée de l’immédiate après-guerre.
C’était il y a une dizaine d’années. Une altercation entre deux collégiens pendant la récré : « De toutes les façons, tu descends d’une famille de collabos. Ici, tout le monde le sait. » Le soir même, « l’interpellé » contait l’altercation à sa grand-mère.
Mauvaise rumeur ? Fait avéré ? La vérité était ailleurs. L’aïeul n’avait jamais été condamné, ni même poursuivi. Il n’empêche… Il n’empêche qu’à l’été 1945, contraint d’abandonner les rênes de son entreprise à des proches, il avait embarqué à La Rochelle avec femmes et enfants (dont la désormais grand-mère) pour l’Amérique du Sud, les communistes, alors à la tête de la ville, dénonçant ses responsabilités nationales au sein d’un syndicat patronal pendant la guerre.
L’incident avait remémoré nombre de souvenirs et pointé quelques interrogations. Pourquoi, alors qu’elle était jeune ado, ne s’était-elle pas posé de questions sur les raisons de ce départ précipité ? Comment avait-elle vécu l’arrivée en Argentine ? Comment son père avait-il rebondi socialement et professionnellement ? Pourquoi ses parents n’étaient jamais revenus en France, si ce n’est en vacances à partir de 1950 ? Pourquoi certains de ses frères et sœurs avaient fait souche à Buenos Aires alors qu’elle avait préféré retraverser l’Atlantique, se marier à Paris et se réinstaller dans sa région d’origine ?
Quelques jours plus tard, encouragée par ses enfants et petits-enfants, elle me confiait son souhait (et la nécessité) de raconter ces années d’après-guerre et… la suite : une vie sur deux continents.